Le site de Takone
La mise à disposition d’un foncier coutumier pour faciliter le développement économique.
Sur décision au courant des années 80, de la grande chefferie de Guahma, avec ses petits chefs et clans gardiens du foncier, le site de Takone a été mis à disposition du développement de projets économiques. Soit un espace de près de 100 ha.
La promotion d’un développement économique au service de l’humain (kanak ou non kanak).
Cet espace est rendu disponible au développement de projets économiques respectant les valeurs de l’identité maréenne (le respect mutuel du sacré de l’espace et du lieu) et la déontologie des affaires.
A savoir, l’économie est d’abord au service de l’humain.
« Le développement économique doit être un élément de « guérison » du colonisé et non pas un instrument de perversion de ce dernier. Le développement est d’abord un outil, un moyen et non pas une fin. Le défi du développement économique n’est pas l’accumulation, ni la capitalisation, mais le partage. »
Citation : Nidoïsh NAISSELINE
Le monde des affaires ou de l’économie doit donc participer à la reconstruction de la dignité des hommes sur Maré et sur les iles loyauté. L’homme de Takone et l’homme accueilli se nourrissent ainsi de leurs différences pour notamment perfectionner leurs compétences dans différents domaines nécessaires et utiles à l’épanouissement de l’humanité.
La réalisation, il y a plus de trente ans, des premières plantations d’avocatiers (champ expérimental) sur l’ile de MARE et depuis plus de 10 ans, la mise en place de l’unité d’extraction d’essences aromatiques de SEREI NO NENGONE.
Le projet SEREI NO NENGONE, un outil de développement économique porté par ses associés maréens et métropolitains, le pari d’un développement économique industriel international et concerté, sur foncier coutumier devant donner sens à la notion kanak de la terre : mère nourricière, et objet de relations et de partage pour l’épanouissement de l’homme dans le respect de son environnement.
Des projets portés par des hommes, impulsés par le district de Guahma et notamment par le grand chef Nidoïsh NAISSELINE (Pa Retok Nidoïsh NAISSELINE).
Une pensée, une vision, une conviction: le combat d’un Retok
Une Pensée
« Eje co tacebuti, co ciroi on ore “dignité”ni eje, ri nodei daden ileon ri pene nod ne Evangelia » Pa Retok Nidoish NAISSELINE
C’est le parcours d’un homme travaillé par l’envie de faire des siens, des hommes et des femmes libres de leur choix et dignes dans leur choix. Pa Retok a été façonné par sa terre de Nengoné, par l’héritage des premiers évangélistes protestants « Tataio et Taniela à Peoraw» et par la République et son université des savoirs. Il est une figure d’un syncrétisme difficilement conciliable. Son souci a été de réconcilier l’irréconciliable. Il a été la figure de proue d’une lutte anticoloniale avec le souci de concilier, de communier. La conciliation, avant d’être avec la terre, est avant tout avec l’Humain. Une figure de proue d’une lutte anticoloniale, qui fait le pari qu’une culture est une mère porteuse d’humanité globale. Cette permanence de l’idée, que la culture définit l’humain dépasse le statut de femme et/ou d’homme. La culture est d’abord une histoire d’ancrage de l’humain dans un tertre-terroir. Le tertre-terroir est tout, à la fois. Un visage. Un nom. Un espace. Un sacré. Une histoire…
« La parole est acte » avait-il dit autrefois. Ce souci de donner à chaque chose sa place, constituait pour lui une évidence. Il ne peut pas y avoir une distinction entre la parole et l’acte. En popularisant cette phrase, il rappelle la place du sacré dans les relations ; et la place de la responsabilité dans l’engagement. « La parole est acte » exprime le dialogue permanent entre la parole du coutumier face à la parole du politique. Sa vie durant, il a essayé de donner une cohérence. Ou comment reconcilier l’irréconciliable ? Le « pene nod » pose le sacré comme le fondement des liens ; de parenté, de filiation, d’affiliation, ou autre. Le « pene nod ». Pa Retok a essayé, non pas de désacraliser le sacré de la fonction, mais de le rendre intelligible. Le défi permanent, auquel il doit faire face, est de conjuguer, de conter, de raconter, sa culture dans la langue de l’Autre, tout en gardant l’esprit de sa civilisation.
Cette dimension du sacré, dans le lien à la terre, comme dans le lien à l’Humain, habite Pa Retok. Certains diront que la conciliation et la réconciliation sont absents dans sa manière d’être, de faire et de dire. Cependant il y avait de la cohérence dans sa pensée. La cohérence, entre sa pensée Kanak et la pensée occidentale, était pour lui le cœur du débat entre l’autochtone, l’indigène, le mélanésien, le Kanak, et le Si Néngoné-si Guahma. Il cherche en permanence la voie d’une meilleure compréhension du lien. De sa distinction entre le lien et la relation. Cette distinction nourrit son regard du sacré-hmijoc, pour continuer d’être soi. Un Retok n’est pas un Grand-Chef, comme l’entendrait, une oreille occidentale. Il aura passé son temps et son énergie à être un Retok. Cela n’a jamais été simple. Le statut d’un Retok à Néngoné est un méandre de lien, où la terre est le vecteur principal des fonctions, des statuts, et des rôles. Il est la jonction entre le visible et l’invisible. Le lien à la terre constitue pour lui le piège fondamental, dans lequel l’Humain de l’endroit se trouve aliéné.
Prend-il le contre-pied du lien à la terre contre le lien entre les personnes ? Autrement dit, le lien entre les personnes serait supérieur au lien à la terre ? En cela, son regard est marqué par le protestantisme, qu’il pouvait railler mais sans jamais renié cet héritage. Le lien est sacré. Comme la parole est acte. C’est son crédo en tant que Retok, mais qu’il étend à son statut d’homme politique. L’équilibre à trouver et à conserver est complexe. Et, il le sait fondamentalement. Il connait les forces et les faiblesses de son statut, de sa fonction. Il connait les transformations profondes imposées par le colonialisme. Et il parle toujours de colonialisme, et presque pas de colonisation. Il est conscient des stigmates du colonialisme dans la population loyaltienne. Ces stigmates sont difficiles à soigner, à effacer, et même à maquiller. Son combat contre le colonialisme passe, avant toute chose, par une émancipation de l’Humain. Il sait que le colonialisme s’est installé aux Îles Loyauté par les hommes et le rapport au travail et non dans la spoliation des terres. Le colonialisme n’était pas dans la prise de possession foncière. Il est dans la prise de possession mentale pour le Kanak des Îles Loyauté.
Comment concrétiser la phrase de Jean-Marie Tjibaou : « participer dans le concert des nations ? » Pour Pa Retok, comme ce fut le cas pour J-M Tjibaou, être un petit peuple par la quantité de ses membres, n’a pas d’importance. L’important réside dans sa conception du monde. Sa conception de l’Autre. Son lien avec son environnement, qu’il soit animal, végétal et même minéral. Le lien est oblitéré par la reconnaissance. Les reconnaissances mutuelles qui organisent les liens et les relations. Pour l’un comme pour l’autre, le champ économique est une des portes d’entrée de la rencontre avec l’Autre, mais aussi avec les siens. L’économie, qu’elle soit macro, ou micro, est d’abord au service de l’humain. En faisant le choix de la non-violence, dans son engagement politique, il est persuadé de l’importance du champ économique dans la reconstruction de la dignité, détruite partiellement ou totalement par le colonialisme. Pour lui, ce qui a dans le panier de pandanus est de la même valeur que ce qu’il y a dans un coffre-fort, un sac à dos, ou un sac en cuir. Son combat à travers l’autochtonie réside dans cette lutte pour la reconnaissance des principes et des valeurs autochtones Kanak.
Une Vision
Sa conception du champ économique est d’abord une conception sociale. Un projet économique représente pour les trois-quarts un projet social. Cette conception socio-économique du développement participe au combat qu’il mène contre la conception insufflée par le colonialisme sur l’incapacité du colonisé à concevoir le monde. Pa Retok perçoit le développement économique comme un chemin vers la valorisation de l’identité Kanak, et plus globalement de la valeur de l’humain. Son analyse critique du développement économique tel qu’il est pratiqué à la province des Îles Loyauté. Le développement économique est le vice et la vertu d’une seule et même pièce. Le développement économique doit être un élément de « guérison » du colonisé et non pas un instrument de perversion de ce dernier. Le développement est d’abord un outil, un moyen et non pas une fin. Le défi du développement économique n’est pas l’accumulation, ni la capitalisation, mais le partage. Sa lecture économique est avant tout une lecture Kanak. Cette sensibilité, il voulait en faire un principe du développement. Comment être soi-même et parler la même langue que l’Autre quel qu’il soit ?
Sa conception politique, dans une lutte contre le colonialisme, le conduit à produire, à imaginer, à expérimenter un outil économique au service de l’identité Kanak. Il pose l’identité comme un préalable non-négociable dans le développement économique. Le « S » de LKS n’est pas une coquetterie intellectuelle de Pa Retok. Il a une véritable pensée socialiste. Et, le cheminement de son parti le LKS a participé à la mise en place des systèmes de coopérative, pour remettre le Kanak debout. J-M Tjibaou parlait lui de « relever la tête ». Se remettre debout passe par l’entrée dans le champ économique. Pour Pa Retok, le socialisme est d’abord une émanation de la pensée Kanak, de la culture Kanak, de l’identité Kanak. Il est conscient que ce chemin, qu’il propose, ne sera pas des plus faciles. Il sait par son expérience, que la pensée coloniale a gangrénée le colonisé, la population Kanak et le peuple Kanak, mais aussi les autres : les victimes de l’histoire.
Le développement, autrefois à travers les projets de coopératives, et maintenant avec les projets de Serei No Néngoné (SNN) et TAKONE, doit être la traduction de cette vision de l’économie au service de l’intérêt général. Son socialisme est un socialisme Kanak. Et, ce n’est nullement prétentieux de sa part ; bien au contraire. Il affirme son socialisme à partir de la réalité culturelle de l’identité Kanak. Un Retok de Ouassé à Canala disait : « Quand on m’a intronisé, on m’a dit : tu vois les gens qui sont là, tu seras à leur service ». Il résume très juste la sensibilité de Pa Retok. Un Retok doit être au service de ses frères dans l’intérêt de tous sans exception. L’économie est là au service de l’Humain. Elle doit restaurer et maintenir les liens. Elle doit redonner de la dignité. Il rejoint la pensée de J-M Tjibaou sur les interdépendances, comme le socle d’une émancipation. Le développement économique n’est pas là pour s’enrichir. Les projets économiques doivent valoriser les richesses de l’environnement incluant celles des valeurs de l’être Kanak. Il sait, que l’économie est devenue un outil pour la promotion du capitalisme, et la mondialisation son visage. Pour autant, Pa Retok n’en fait pas un combat personnel. Le combat n’est pas dans une opposition stérile, mais dans la recherche d’un consensus, selon la pensée Kanak.
Le dilemme majeur, pour Pa Retok, est le face à face entre le développement de l’humain et le développement de la terre (ou des richesses de la terre et celles de la mer). Ce dilemme le travaille depuis toujours. Le débat entre « propriétaire terrien » et « gardien de la terre ». Pour lui, ce débat est une conséquence importante du colonialisme. L’intrusion de la sémantique et de la pensée coloniale sur la notion de « propriétaire terrien » engendre chez les Kanak un nouveau rapport à la terre. La terre comme élément identitaire et sociétal devient un élément patrimonial. Sa réflexion politique sur le développement économique se heurte à la nouvelle approche très individualiste sur le rapport à la terre. Or pour lui la terre est liée à une fonction, à un rôle social. Il est difficile de revendiquer « sa terre » et oublier sa fonction et son rôle. La fragilité du développement économique réside dans ce changement des mentalités.
Le développement est avant tout un développement socio-économique : « Tout projet économique sur terres coutumières doit donner sens à la notion de terre selon le Kanak : mère nourricière, terre de partage et terre d’accueil ». Sa crainte est de voir les écarts socio-économiques pénétrés la société Kanak. La coutume est un bon indicateur sur la place des échanges monétaires. L’argent pèse sur les échanges et les liens sociaux. Pour éviter l’augmentation des écarts entre les « acereceluayien », il conseillait de trouver le bon montant pour ne pas léser ceux qui n’ont pas un travail salarié. Il a toujours fait le pari sur l’intelligence et sur la sagesse des femmes et des hommes de sa chefferie. Les projets de développement doivent réguler les fractures sociales à l’intérieur de la société Kanak. Les projets de développement ne doivent pas être du néo-colonialisme déguisé. Pa Retok se méfie du développement comme une porte d’entrée au néo-colonialisme. Son expérience de militant et d’intellectuel lui donne une grande lucidité sur les effets de la colonisation dans les populations autochtones. Il n’est pas dupe sur les réalités et les intentions de la globalisation. Il parle de l’imposture du développement.
Cette vision Kanak du monde dans le développement économique est habité par la clairvoyance et la crainte de disparaître. Pa Retok a peur que sa culture disparaisse à travers un outil que l’Autre lui a présenté comme le remède pour retrouver de la dignité. Tout au long de sa vie d’homme politique, l’identité reste pour lui le moteur de toute action. Le changement de mentalité participe à l’affaiblissement de l’identité Kanak. Il n’a jamais dévié de sa vision Kanak du monde, comme si tout le reste n’a que peu d’importance à ses yeux. Nidoish Naisseline est un Si Guahma, un Retok, un Kanak, un humaniste, et un politique. Son regard et son rapport au monde sont le résultat de ces différents éléments.
Une Conviction.
Dire que Pa Retok est un homme de conviction est une évidence. Il n’a pas varié dans sa façon d’être, de penser, de dire. Il est resté fidèle à son combat. Il est un indépendantiste fondamentalement inscrit dans une conscience humaine profonde. Pa Retok est un indépendantiste, qui cherche le compromis, mais jamais la compromission. Il n’est pas un nationaliste. Défendre l’identité Kanak n’est pas défendre le nationalisme, dans une dimension d’ethnicité. Défendre l’identité Kanak c’est faire de sa culture une richesse à partager. Il est de fait un homme de gauche. Sa pensée politique, d’homme de gauche s’est construite durant ses années d’étude. Il gardera cet ancrage intellectuel, durant toute sa vie, pour affirmer sans cesse les valeurs et les principes de sa civilisation. Cette conviction d’homme de gauche a nourri toute sa réflexion politique sur les inégalités doublées aux injustices que subit la population Kanak. Et cette conviction, il l’a toujours intégrée dans sa place de Retok. Et, être indépendantiste n’est pas de rompre avec le pays colonialiste. Ses prises de position publiques ou non, marquent son attachement aux maintiens des liens. Il sait que la fonction d’un Retok est de garder et de réactualiser en permanence ces liens.
Pa Retok n’est pas un partisan de l’exclusion, quel qu’elle soit. Certains peuvent lui opposer ses interventions à l’encontre des usagers de la mer (plongeurs ou pêcheurs). Mais il rappelle toujours les modalités des usages. Les modalités des usages engagent chacun à respecter les règles de la réciprocité selon les principes et les valeurs de la pensée et de l’identité Kanak liés à la terre-père et à la mer-mère. Il est convaincu de l’importance de l’Autre. L’Altérité nous nourrit. Elle est la vie. Mais, il rappelle toujours, que l’Altérité ne se fait pas au détriment des Kanak. Le lien est au cœur de sa pensée. Dans le monde Kanak, les places, les fonctions et les rôles doivent être occupés. Chacun doit assumer ses responsabilités. Plusieurs fois, il rappelle l’importance de la responsabilité dans la vie d’une société. Être à une place et ne pas faire le travail, qui correspond à cette place est le nid de l’incohérence et de l’usurpation.
Pa Retok est un indépendantiste. Il n’est pas un nationaliste. Dans ses propos, ou ses prises de position, le mot de « nationalisme » ou de « nationaliste » est absent. Il faut le souligner, tant les confusions sont grandes. Un pays, dans les mains d’une seule ethnie, est condamné à mourir. Son refus du nationalisme s’explique aisément par le danger d’un repli identitaire. Il parle comme J-M Tjibaou qui parle de la reformulation comme une nécessité pour maintenir une culture dans une dynamique de vie. Le nationalisme constitue pour lui une émanation d’une pensée de droite. Le nationalisme est un danger pour les mouvements de libération. Sa position lui amène à prendre ses distances avec le mouvement indépendantiste du FLNKS. Par cet acte, il ne signifiait pas un refus de l’indépendance, mais bien une indépendance à l’image du pays. La force de Pa Retok dans cette prise de position est sa cohérence. Il a le souci de la cohérence. La pensée et l’acte doivent marcher ensemble pour éviter de se perdre.
Sa crainte est de voir le mouvement indépendantiste tomber dans le piège dressé par les États-Nations colonialistes. Un peuple riche de sa culture, et de sa civilisation ne peut renier son patrimoine, pour des raisons d’équilibre politicien, et non de reconnaissance. Tomber dans ce piège serait un aveu de faiblesse. Un aveu sur le caractère secondaire de la culture Kanak, et renforcé le caractère folklorique de la culture. L’art constitue pour lui une barrière contre l’érosion du temps coloniale, des canons de l’esthétique colonial et de l’oubli. Il considère les artistes comme des gardiens d’une culture et d’une conscience humaine Kanak. Au fil de sa vie, il regarde les artistes comme des veilleurs capables de maintenir une culture en vie. Il voyait dans l’évolution politique, avec l’accord de Nouméa, une condamnation de la culture Kanak. Il voit dans les artistes, les derniers défenseurs d’une identité. Et, cette défense n’est pas un nationalisme, mais une conscience.
Son choix de la non-violence peut faire douter ses détracteurs. Mais il est profondément non-violent. On peut toujours dire que des exemples prouvant le contraire sont nombreux. Or sa position a toujours été le souci de replacer chaque chose à sa place. L’exercice n’est pas facile. La non-violence n’est pas une position facile dans un pays où le rapport colonial est le cœur du rapport social. Le choix de la non-violence n’est pas une abdication de sa part, mais la volonté de parier sur l’intelligence. La non-violence chez Pa Retok s’exprime par son choix, toujours assumé, d’être présent dans l’arène politique. Être élu signifie pour lui de maintenir le dialogue. Il est, à jamais convaincu, que la parole est acte. Et, la parole guérit les meurtrissures des rencontres difficiles, et parfois même des non-rencontres. Il est toujours à la recherche du mot juste. Le mot juste est celui qui fait résonnance et non pas celui qui fait coïncidence.